LA POUDRIERE de Séléstat – Espace d’Art

Depuis cet automne, un nouveau lieu consacré à l’art contemporain vient d’ouvrir à Sélestat et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il est atypique et génial ! Le lieu est inattendu, son inspirateur Didier Stein l’est tout autant et la rencontre des deux est une histoire incroyable. Elle a donné naissance à un concept d’espace artistique que tout le monde semblait attendre depuis longtemps en Alsace. Bref, on s’est empressé d’en savoir plus sur tout ça et de pousser la lourde porte blindée de La Poudrière de Sélestat. Et on vous dévoile tous les détails dans cet article déflagrant.

Un lieu vraiment atypique 

C’est un bâtiment qui détonne un peu dans l’alignement des maisons du Boulevard Thiers de Sélestat. Sa façade est en retrait et devant elle, un mur assez haut est percé par une entrée de taille réduite. Son allure est austère et l’on perçoit de suite que ces épais murs cachent soit un trésor soit un danger … ou peut-être les deux. Cet édifice date de 1675 lorsque la ville a été fortifiée par Vauban et Tarade. C’était la grande époque de l’artillerie. Pour le fonctionnement des canons, il fallait d’importants stocks de poudre. La ville disposait alors de 2 poudrières (plus précisément des magasins à poudre), mais une seule est encore intacte.

On comprend mieux l’architecture du lieu qui devait à la fois résister en cas d’explosion tout en permettant une ventilation pour éviter que la poudre ne s’humidifie. Pour cela, les choses ne seront pas faites à moitié :

Il y a un double mur à l’entrée, des murs latéraux d’une épaisseur de 2m30 sur lesquels sont construits des contreforts, une voûte d’une épaisseur de 2m, ainsi que d’épaisses portes et des volets blindés.

Juste en dessous

Cet édifice militaire a été réalisé lors d’une restructuration complète de la ville. Et sous la poudrière, vous trouverez encore les fondations de la chapelle Saint-Nicolas qui se situait au sud de l’Hôpital des pauvres. On peut dire que ce lieu est vraiment chargé d’histoire(s) et c’est aujourd’hui une nouvelle vie qui commence pour le site.

Didier Stein, le caméléon

Didier a lui aussi eu plusieurs vies, et rien ne le destinait a priori à créer un centre d’art dans sa ville. Il a été le fondateur et le gérant d’une grande chaîne de magasins spécialisés dans le multimédia et l’électroménager. Il a connu le succès et la vie palpitante d’un chef d’entreprise, mais à 40 ans, il perd tout. Alors pour se reconstruire et occuper son esprit, il se lance à fond dans le sport et particulièrement dans la course à pied. Il atteint assez rapidement un excellent niveau qui lui permet de participer à des trails, des ultra-trails. Insatiable, il est présent sur des courses mythiques comme le Marathon des Sables ou l’UTMB. Il détient un record dans une épreuve insolite : les 24h de course à pied sur tapis roulant. Record du monde en parcourant 147,51 km en 12h et record de France avec 236,66 km en 24h.

Que ce soit pour les choses sérieuses ou pour le fun, Didier fait toujours les choses à fond. S’il n’a pas encore trouvé les limites de sa volonté et de sa motivation, il va par contre se heurter aux limites de son corps. Il avoue lui-même avoir grillé les étapes et ne pas avoir trop pris soin de lui. Le sport de haut niveau, c’est désormais de l’histoire ancienne pour lui. Vous pensez certainement avoir cerné le personnage, sa capacité de résilience, son potentiel de détermination et pourtant cette fois-ci, le phoenix va renaître là où vous ne l’attendiez peut-être pas.

Briser puis reconstruire, Didier le mosaïste

Après Didier l’entrepreneur, Didier le sportif, voici Didier l’artiste. Il ne saurait dire pourquoi il a toujours été attiré par les mosaïques. En voyage ou en ville, lorsqu’il en voit, il peut passer des heures à les admirer, comprendre comment elles sont faites, même si sa famille ou ses amis qui l’accompagnent peuvent s’impatienter. Avec humour, il dit que son nom de famille l’a prédestiné à ça (“Stein” veut dire “Pierre” en allemand). Mais moi, j’y vois quelque chose de plus profond. C’est un art qui correspond au tempérament et à l’expérience de vie de Didier. La mosaïque consiste à détruire en petits morceaux des pierres, des faïences, de la céramique, du verre ou des miroirs pour obtenir une matière première permettant de (re)construire autre chose.

Dans certains cas, la mosaïque peut être décorative et pratiquée comme un artisanat. Ce n’est pas le cas pour Didier qui depuis 2017, utilise la céramique pour réaliser des œuvres contemporaines qui se distinguent par leurs couleurs, leurs sujets et surtout leurs dimensions. Il est en grande partie autodidacte puisqu’il y a peu de mentor chez qui se former dans ce domaine. Ce n’est pas vraiment un problème puisque cela l’oblige à innover, réactualiser des techniques pour s’adapter à son inspiration et ses projets souvent hors normes.

Tout ce qu’il produit est déjà vendu, mais il ne cherche pas du tout à en vivre. Il ne veut pas tomber dans le piège de devoir produire pour payer ses factures. Pour lui, cela doit rester un plaisir et il veut rester libre de choisir ses sujets. N’oubliez pas qu’il aime les défis, donc il ne prend pas vraiment plaisir à faire deux fois la même chose. 

Une rencontre marquante

Comme toujours Didier fait les choses à fond et son espace de vie est vite envahi par sa nouvelle passion. Les sacs de ciment, les carreaux, tous ces outils et surtout la poussière font désormais partie de la décoration de son logement. C’est devenu invivable, il est temps de trouver un espace dédié uniquement à la création. Pour son projet, Didier va écumer de nombreux mois les annonces et les agences immobilières sans succès. Depuis 40 années qu’il arpente les rues de Sélestat, il en connaît pourtant tous les recoins. Mais son regard se pose un jour sur La Poudrière abandonnée. Elle appartient à la municipalité. Lorsqu’il se renseigne, tout le monde tente de le dissuader tant le lieu est vétuste. Mais un jour on lui ouvre la porte et c’est le gros, le très gros coup de coeur !

Il en obtient la propriété puisque le projet de Didier plaît aussi à la municipalité, très ouverte à l’art en général. Didier se lance dans 5 mois de travaux pour assainir, rafraîchir, réparer et aménager l’endroit. L’idée est de préserver au maximum le bâtiment originel et ne rien faire d’irréversible tout en apportant l’eau et l’électricité pour le rendre utilisable. Le lieu est à deux pas du centre-ville avec des parkings à coté. C’est assez grand pour accueillir d’autres artistes … du coup d’autres idées germent dans la tête de Didier.

Une inauguration qui n’en finit pas

Les travaux terminés, Didier veut marquer le coup en organisant une inauguration lors des journées du Patrimoine en invitant ses proches (sept 2022). Souhaitant profiter de l’occasion, son ami, Yannick Kraemer a proposé de présenter sa collection d’art. Et c’est ainsi que le rendez-vous des copains s’est transformé en une exposition remarquable avec des œuvres de Niki de Saint-Phalle, Modigliani, Keith Haring, Andy Warhol, Jeff Koons, Damien Hirst et Jean-Michel Basquiat ! Sacrée entrée en la matière avec près de 3000 visiteurs en 1 WE 😉 Depuis l’inauguration, chaque WE, il se passe quelque chose de nouveau à La Poudrière. Principalement des expositions d’artistes locaux ou plus lointains, mais aussi des conférences et prochainement des ateliers. Didier ne ferme aucune porte et est ouvert à tous les projets artistiques qui feraient vibrer La Poudrière.

La synergie artistique à Sélestat

Depuis très longtemps, la ville s’est placée comme un élément moteur pour le développement de l’art contemporain en Alsace. Avec (entre autres) des institutions comme le FRAC Alsace, l’Agence Culturelle d’Alsace, la Bibliothèque Humaniste, des événements comme Selest’art mais aussi des œuvres éphémères et permanentes, l’art est vraiment partout dans la ville. L’arrivée du p’tit nouveau et son étrange bâtiment aurait pu susciter un rejet ou tout au moins de la méfiance. Bien au contraire, Didier s’est de suite senti soutenu et intégré dans le paysage culturel de la ville. C’est donc tout naturellement qu’il se retrouve dans les agendas des manifestations à venir et qu’il travaille déjà sur de nombreux projets avec ses nouveaux partenaires.

Victime de son succès

Proposer tous les WE quelque chose de nouveau est une sacrée organisation et demande énormément d’énergie. Il n’y a pas un jour où le téléphone de Didier ne sonne sans qu’on lui propose un partenariat, qu’on lui demande un créneau pour exposer. Didier l’avoue, il est un peu débordé par le succès de son projet. Il reconnaît volontiers que ce n’est pas son métier. Pour l’aider, il a rapidement trouvé de l’aide auprès d’amis et de sa famille, notamment sa fille pour organiser les événements et progressivement dessiner une ligne artistique plus précise. Néanmoins, Didier adore son incroyable aventure, “C’est grisant de voir se concrétiser un projet de rencontre entre des artistes et le public, et de voir tout le monde y adhérer”

Des artistes et des oeuvres IRL

Si aujourd’hui tout peut se faire “à distance”, c’est assez curieux de voir que l’humain cherche toujours à rencontrer d’autres humains. Ici c’est un bonheur partagé aussi bien par les artistes que les visiteurs. L’exposition en cours lors de la rédaction de cet article regroupait 3 artistes. Ils étaient présents tout le temps d’ouverture de l’exposition, à disposition des visiteurs … ou plutôt à l’écoute et avec la volonté de partager leur passion. Il n’y avait pas une foule immense, mais continuellement du monde. Si bien qu’il a fallu que j’attende mon tour pour faire connaissance avec :

OSSAB

Le contraste qui se dégage de ses œuvres se retrouve aussi dans sa personnalité. Cette artiste a 2 visages. On associe aisément cette femme élégante et maquillée avec ses sculptures androgines, raffinées et élancées. Mais sous cette apparente féminité se cache aussi une version d’elle beaucoup plus brutale, plus masculine comme elle aime le préciser. Pour ses céramiques, elle utilise la technique du Raku, une cuisson au lance flamme suivie d’un enfumage qui noircit profondément la matière et modifie les émaux vers des textures métallisées. Elle y incorpore systématiquement des éléments en fer qu’elle découpe à l’arc électrique pour obtenir une forme de dentelle oxydée aux formes diverses. Voilà, comme moi, vous imaginez maintenant aussi OSSAB dans son atelier au milieu de ce chaos de matières, de terre, de feu, d’eau et de fer lorsqu’elle crée ses sculptures.

GAD

Le regard est primordial dans le travail de l’artiste digitale GAD. Elle laisse des traces et des indices dans ses œuvres qui racontent une histoire et créent des icônes contemporaines envoûtantes. Le regard hypnotique de ses visages virtuels de femmes croise celui du spectateur qui cherche et se construit sa propre interprétation de cette rencontre. Les grands formats de GAD où se mêlent mythologie ancienne et animaux totem interrogent et fascinent. Elle utilise exclusivement des outils numériques, mais sa technique reste finalement traditionnelle et s’apparente à la peinture et au collage (pas d’intelligence artificielle). 

Christophe HAMM

La photographie, c’est son métier mais c’est avant tout sa passion, puisqu’il occupe son temps libre à réaliser ses propres projets artistiques. Il réalise des collections qui correspondent à des périodes de sa vie, il explore ainsi différents styles, différents univers. Christophe est sensible à ce qui est éphémère, il n’aime vraiment pas voir les choses disparaître. Avec son boîtier et son objectif, il donne d’une certaine manière un aspect éternel à ce qu’il capture. Il nous partage son cheminement entre la magie de paysages éthérés, la rudesse d’installations industrielles aujourd’hui disparues et un hommage au street art avec des assemblages d’œuvres très colorées.

Pour faire le tour de l’exposition et de l’espace d’art en vidéo :

Il y a plein de projets en cours à La Poudrière et Didier m’a dévoilé plein de surprises qu’il vous réserve pour les mois à venir, mais Botus et Mouche Cousue, je resterai muet comme une allumette allumée dans une poudrière 😉

Didier Stein et La Poudrière sont à suivre sur Facebook.