Benoît, le calligraffeur inspiré
Un parcours initiatique
Il n’y a pas vraiment de hasard, si Benoît travaille aujourd’hui au SAV (Service Après Vente) de Pearl à Sélestat. Il fait partie de ces personnes qui aiment comprendre comment les choses fonctionnent. Il décortique, analyse, reproduit et réinvente à peu près tout ce qui lui passe dans les mains. Vous verrez plus loin que c’est même assez obsessionnel chez lui. Mais chez Pearl, c’est une qualité appréciée pour conseiller les clients et réparer des appareils souvent complexes.
Son CV est pourtant une succession d’aventures vraiment surprenantes : agent d’entretien dans un camping, barman dans un hôtel, organisateur de loto pour les personnes âgées ou imprimeur pour des tirages destinés aux grands musées parisiens. Ce sont toutes ces expériences professionnelles et son appétence pour aller au bout des choses qui ont élargi ses domaines de compétences vers une extrême polyvalence. C’est finalement cohérent avec la diversité des produits que l’on retrouve sur Pearl.fr et que Benoît doit prendre en charge dans son travail. Mais, c’est vrai que lorsqu’il énumère toutes ses fonctions passées, il ne peut s’empêcher de sourire. Lui, qui au départ voulait juste être professeur d’arts plastiques…
L’art du rebelle
Les fondations
Dans la tête de Benoît, c’est un peu comme dans ses mains. Il touche à tout et réfléchit beaucoup. Sur ses phalanges sont tatouées les lettres CDMV MDMM qui veulent dire : je Construis De Mon Vivant, le Monument De Ma Mort. Ça peut paraître glaçant et tellement surprenant venant de cet amoureux de la vie. Mais pour lui, ces mots ont énormément de sens. C’est une manière personnelle de se rappeler chaque jour, que rien n’est permanent.
Oui, Benoît est un écorché vif, mais avec une armure blindée en titane. Les bas-fonds, la racaille et les lieux sombres ne l’inquiètent pas du tout. Et c’est même plutôt l’inverse, il éprouve une certaine attirance et du respect pour ceux que la société rejette. Il fait confiance à son instinct pour reconnaître chez ces gens de la rue, une forme de noblesse.
Il connaît bien l’art contemporain des galeries, mais ce n’est pas vraiment sa tasse de thé. Il a une bonne définition de ce qu’est l’Art en général. Mais, il trouve plus de plaisir à chercher l’art dans les choses simples qui l’entourent, dans les gestes précis, les savoir-faire maîtrisés et la transformation des choses.
Son côté rebelle et son obsession de l’impermanence vont le conduire vers son premier terrain d’expression artistique : le graffiti.
Les murs et le “toi”
On associe souvent le “Graffiti” au “Street Art”, mais, s’il existe bien des ponts, ce sont deux mondes bien distincts pour les pratiquants. Si le street art et le graff se sont institutionnalisés, le graffiti reste plus discret, presque secret. C’est tout simplement une pratique illégale souvent associée au vandalisme. Même s’il existe des règles dans ce milieu, il y aura toujours un aspect fondamentalement hors la loi.
Ce n’est pas tant ce côté interdit qui attirait Benoît, mais plus l’élan de liberté qui accompagne cette pratique. L’exploration de lieux incroyables, les rencontres improbables, cette sensation de vivre intensément les choses et surtout “les mots” sont au cœur de l’art de Benoît. Il évoluait dans cet univers sur fond de musique hip-hop. Et en prenant de l’âge, Benoît a mesuré les risques et va développer une nouvelle manière de s’exprimer avec des lettres, beaucoup plus sages sur la forme, mais toujours aussi rebelle dans le fond.
L’art du sage
La pensée dans les livres
Plus jeune, Benoît n’aimait pas lire, ce qui est plutôt paradoxal pour un amoureux des mots. Mais plus tard, il va découvrir des ouvrages qui vont consolider ses convictions profondes et lui ouvrir de nouvelles portes de réflexion. Et puisqu’il ne fait pas les choses à moitié, il va littérairement dévorer les œuvres de Bouddha et d’autres livres de philosophie bouddhiste, ainsi que les œuvres de Karl Marx ou de Pierre-Joseph Proudhon. Dans ces livres, il va trouver des réponses spirituelles, mais aussi sociales qui correspondent à ses aspirations de justice, de liberté et de bonheur universel. Par contre, lorsqu’un ouvrage passionnant passe dans ses mains, il n’en ressort jamais indemne. Ni Benoît, ni le livre qui se retrouve annoté, avec des phrases stabilotées et des pages cornées. Ces mots sont la véritable matière première de son art d’aujourd’hui, la calligraphie.
La calligraphie hip-hop
Passer de la bombe de peinture à la plume encrée ne s’est pas fait rapidement. Il faut d’abord apprendre longtemps le geste pour qu’il devienne instinctif. Benoît se plonge à fond dans sa nouvelle passion et veut apprendre à l’ancienne comme le faisaient les moines copistes d’antan. Il va donc recopier inlassablement des alphabets de la typographie Gothic Textura jusqu’à la maîtriser. Cela peut vous paraître curieux comme choix de police pour un ancien graffeur. Mais les typographies Gothic sont celles utilisées dans le monde du Hip Hop hispanique, dans le plus pur style “West Coast”. Il utilise donc des plumes biseautées de différentes tailles et des encres de différentes couleurs dans ses exercices. Puis, il va progressivement trouver son propre style. Il ne se qualifie pas de “calligraphe” puisqu’il considère qu’il n’a pas le niveau technique pour mériter ce titre. Moi, je le vois comme un calligraffeur.
Prendre le temps
Benoît n’est pas un mec pressé, il sait que les belles choses prennent du temps. Pour lui, c’est devenu une philosophie de vie que d’apprécier le chemin tout autant que la destination. C’est sa manière d’aller au fond des choses sans griller les étapes. Quand il voyage, il préfère prendre les petites lignes de train pour admirer les paysages et provoquer des rencontres. Quand il cuisine, il préfère faire les choses à l’ancienne plutôt que d’utiliser des appareils modernes. Et même dans sa vie, il savoure chaque étape. Prendre de l’âge, c’est gagner en sagesse selon lui. Mais, le temps le plus important à prendre, c’est celui de ne rien faire. D’être seul, face à soi-même. Il semble difficile pour beaucoup de gens d’échapper aux sollicitations, le téléphone, la TV, la radio, la liste des courses … Mais ce temps de méditation, d’introspection est primordial pour lui.
L’expérience mystique
Lorsque Benoît prend sa plume ce n’est pas pour écrire rapidement des mots. Il a besoin de prendre son temps, se poser, de faire des essais avant de se lancer. Et lorsqu’il va dessiner les lettres les unes après les autres, il va plonger progressivement dans une sorte d’état second. C’est une manière d’incarner les mots au plus profond de lui-même, une technique proche de la pratique des mandalas. Plus l’œuvre est grande, plus l’expérience est intense aussi bien pour Benoît que pour le spectateur qui la regarde. Dans cet esprit, Benoît a déjà réalisé des pièces impressionnantes d’1,5 mètre de diamètre qui resteront des moments marquants dans sa vie.
A la difficulté de bien réaliser les lettres et de ne pas perdre le fil de la phrase, s’ajoute celle de finir au bon endroit. Petit exercice : essayez de votre côté d’écrire une phrase complète sur un cercle … et vous comprendrez que de finir sa phrase, là ou elle commence tient à la chance ou à l’obstination. Benoît est exigeant. Tout ce qui n’est pas parfait finit à la poubelle. Il y a beaucoup de déchets avant de produire ce qui mérite d’être gardé.
Ne pas se trahir
Benoît partage ses productions sur son compte Instagram. Il y a régulièrement des nouveautés et on y voit sa progression, ses réflexions et ses expérimentations. Il aime bien ce côté “gratuit” des réseaux sociaux puisqu’il n’est pas très à l’aise avec l’aspect marchand de l’art. Il avait, un temps, créé sa micro-entreprise pour vendre ses calligraphies et répondre à des commandes. Mais, finalement ça ne correspondait pas à ce qu’il recherchait. D’une certaine manière, produire de l’art pour en vivre, c’était un peu se trahir et surtout y perdre son plaisir et sa liberté. Vous ne le verrez donc pas faire des cartes de Noël ou des étiquettes de table pour les mariages.
Par contre, vous le croiserez certainement lors d’expositions dans des MJC ou des bars puisqu’il adore le contact direct avec les personnes. Il a aussi participé à des projets dingues comme le tournage d’un clip de Reggae. La maison de disque avait payé son voyage et l’hébergement contre la réalisation d’une calligraphie. Cela correspond plus à son tempérament d’artiste libéré du marché, et il a encore d’autres projets en tête …
Aller plus loin
Il n’est pas rare de le croiser le nez dans un bouquin durant ses pauses. Il continue ainsi à nourrir sa pensée. A son initiative, il poursuit une formation en électronique pour aller encore plus loin dans la compréhension des appareils qu’on lui confie pour réparation. Dans ses rêves les plus fous, il verrait bien ses calligraphies imprimées sur des canettes de 8.6 customisées. Et en projet imminent, il aimerait créer des tableaux mobiles à partir des mécanismes de montre que l’on vend sur le site de Pearl. Il cherche encore comment faire tourner les mécanismes dans l’autre sens. Benoît n’a pas de limite à son imagination. L’art est devenu nécessaire à son équilibre et son bonheur. C’est une clé qu’il nous donne, puisque pour lui tout le monde a droit au bonheur et tout le monde devrait faire de l’art.
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